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MEMOIRES DE CORPS

JOHANNA ALMOS

Revue O.U.A.T. numéro 1, octobre 2021

Mémoires de corps, de Johanna Almos, rassemble quatorze nouvelles sombres teintées d'horrifique et d'une pointe de gothique. On y retrouve des figures classiques comme celle du loup-garou, du vampire, du fantôme et de la dame blanche, mais aussi des caractéristiques récurrentes de l'horreur comme le serial-killer et des névrosés divers, emportés par une écriture qui les redessine et les redécoupe à la sauce Almos, sur un mode tantôt fantastique, tantôt réaliste voire social.

L'auteur se plaît à créer des ambiances réalistes et inquiétantes dans lesquelles surgit la reine du recueil, la douleur : la souffrance le dispute à l'agonie, sous une plume parfois détachée, parfois humoristique, toujours acerbe, nerveuse et directe. Les nouvelles les plus émouvantes dépassent d'ailleurs le simple horrifique pour conférer du sens à l'insupportable. La nouvelle d'ouverture, "Maison Villebasse", présente ainsi le traitement de l'endométriose par électrochocs et lobotomie dans une ambiance lourde et sans lumière. Cette dénonciation de pratiques d'un autre âge et souvent méconnues fonctionne pleinement grâce au personnage principal. Les descriptions dénotent une connaissance précise de cette maladie, et l'on peut se demander dans quelle mesure cette écriture ne joue pas aussi un rôle thérapeutique.

D'autres textes, comme "Lycanthropie", misent d'avantage sur la symbolique, laissant en retrait les personnages. Dans cette nouvelle, comme souvent dans ce recueil, une femme est victime de sévices physiques. Après une mise en place intrigante, l'auteur laisse se développer le double sens du titre, effaçant le personnage derrière une autre image, plus large et plus brutale qui se referme sur une spirale fatale. "Catharsis", où le symbolique se mêle au psychosomatique, fonctionne sur le même mode : l'esprit et le corps, aussi intimement attachés qu'opposés, mènent un combat qu'aucun des deux ne peut gagner sans se détruire. Au fil des nouvelles, les personnages flottent ainsi entre deux eaux, au cœur d'ambiances qui raviront ceux qui apprécient les scènes de torture et d'horreur.

Car ces nouvelles n’évoquent le corps qu'en tant que vecteur de souffrance, seul exutoire capable d'évacuer un problème psychiatrique, un trouble de personnalité ou un accident de la vie perçu comme insupportable. "Grossesse" présente ainsi une grossesse nerveuse éprouvée par une femme qui a subi une hystérectomie, "Voodoo Child", une femme qui se scarifie après une césarienne, "Les maux et la chair" une employée de bureau qui trouve un sens à sa petite vie trop tranquille et banale en s'échappant dans des cauchemars où la douleur devient un objectif à atteindre autant que pourrait l'être la tendresse, et "Newton", un petit garçon qui torture et tue ceux qui ne lui manifestent pas d'amour et ne voient pas qu'il a été violé... tous ces personnages souffrent donc et retournent la violence contre eux, ou plus rarement contre les autres. C'est le cas de "Détendez-vous", où un homme qui ne parvient pas à trouver la sérénité se venge sur la sophrologue qui essaie de l'aider, en la démembrant sous le regard compréhensif de ses condisciples.

On l'aura compris, chez Johanna Almos, il faut avoir le cœur bien accroché, car il remonte parfois au bord des lèvres, avec un zeste d'humour et de dérision comme dans "Corpus Dei" où Dieu lui-même jette l'éponge. La douleur empêche la pensée, mais pas l'identification du lecteur qui s'attache à ces êtres perdus qui peinent à prendre corps - littéralement - et résistent à leur état organique sans atteindre la surface ni le sens. A quoi rime cette souffrance ? "Hiver" apporte un début de réponse par le biais d'un personnage que la perte de l'être aimé fait peu à peu disparaître. L'intervention d'une dame blanche éclaire encore le propos par sa symbolique puissante qui renforce celle de la fonte du personnage morceau par morceau. Mais c'est sans doute "Sur le bateau" qui emporte l'adhésion du lecteur avec le plus d'éclat. L'enfant fantôme à la recherche de sa mère sur un bateau de migrants bondé émeut par le sens même de sa quête que le lecture devine sans fin. La fin arrive pourtant, avec la poétique nouvelle de clôture, "La preneuse de notes", pour réconcilier les vivants et les corps.

Mémoires de corps réjouira donc les lecteurs attachés aux thèmes horrifiques et aux corps souffrants, portés par une écriture sans échappatoire.

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Mioon - 17 octobre 2020

Mémoires de corps... le titre est évocateur, et la superbe couverture l'est plus encore. Par le biais de 14 nouvelles, Johanna Almos nous fait visiter les affres de la vie et de la mort, avec un style parfois détaché, parfois poétique, parfois humoristique. Avec l'aide d'une touche de fantastique, elle dépeint ces souffrances avec énorme de tact et de sensibilité. La maladie, la mort, la mutilation, la violence, le deuil... elle traite de tous ces thèmes sans jamais tomber dans l'excès. Pas de glamourisation ni de dramatisation à, elle reste dans le vrai, dans le réel, dans le cruel également. Elle met des mots sur les maux. de cette expérience de lecture très particulière, à réserver à un public assez mâture pour savoir apprécier.
''Maison Villebasse'' et ''Hiver'' sont mes préférées même si toutes ces nouvelles sont excellentes. Johanna Almos a su frapper juste avec son style si particulier.

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Dariodo - 8 octobre 2020

 

Un recueil de nouvelles attirant, déjà, par sa couverture, splendide. Un sujet qui peut paraître ne pas être évident à traiter. Mais lorsque la plume de l'auteure glisse si bien sur les mots, on ne peut qu'apprécier. Les nouvelles, basées sur le thème du corps, sont toutes différentes les unes des autres. Parfois sanglantes, parfois morbides, parfois tristement réalistes, elles usent du fantastique pour nous démontrer que le corps, formidable outil, peut tout à la fois être synonyme de joie ou de malheur, de plaisir ou de souffrance. Certes, je ne conseillerai pas forcément ce recueil à des adolescents, mais plus à un lectorat adulte (et consentant !). Mais Johanna Almos sait par ces nouvelles nous prouver qu'elle peut nous faire frémir, pleurer, trembler, rager, ou même bien rire ou rêver. Un livre à avoir, résolument, pour ne pas passer à côté d'un chef d’œuvre du fantastique.

Note 5/5

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Maritza - 8 octobre 2020

 

Note : 4,4 /5

Couverture : La couverture intrigue et peut choquer, ce qui me plaît particulièrement sur quand on lit le résumé qui est en parfait raccord. Mélange de corps, on distingue un squelette, une silhouette, tout est fait pour nous mettre dans l’ambiance, j’aime beaucoup ! Surtout que la couleur rouge n’est pas sans rappeler le sang…et je ne dis pas ça au hasard !

Résumé : « Le corps, instrument de plaisir et de souffrance. Le corps bafoué, abimé, sali ou encensé. C'est la peau qui détient nos secrets les plus intimes, nos angoisses les plus profondes. Il n'est rien de plus effrayant que la guerre qui fait rage dans notre propre chair. Ces quatorze nouvelles sauront vous le démontrer. »

C’est un recueil de nouvelles ! Dès le résumé et la couverture on sait où on met les pieds ! Un recueil c’est toujours délicat car on ne sait jamais si un fil relit toutes les nouvelles. Vous n’avez pas de souci à vous faire avec celui-ci !
Le thème est sanglant, mais pas que, il vous prend aux tripes (dans tous les sens du terme), c’est psychologique, éreintant… J’aime quand ça ne me laisse pas indifférente. Ce n’est pas pour tout le monde, mais je sais à qui je pourrai le recommander !

Première nouvelle : Maison Villebasse
Internée, amputée… pensez-vous que c’est terminé ? Pas tout à fait. Nous faisons la connaissance de Viviane, de Céleste, dans cette nouvelle sans filtre. Qu’est-ce qu’il reste à ces femmes une fois qu’elles sont entre de tels murs ? Plus grand-chose. J’ai bien apprécié, surtout la note de l’autrice à la fin.

Deuxième nouvelle : Sur le bateau
Dès les premiers mots on comprend rapidement le cadre et surtout le thème d’un sujet encore d’actualité (voir mon passage préféré). L’espoir de vivre sur une contrée à l’abri des conflits et souffrir de la faim, des maladies, du deuil durant le voyage. Cette nouvelle aborde la mémoire des vies qui n’ont pas pu être sauvées.

Troisième nouvelle : Lycanthropie
Tout est dit dans le titre ou presque. J’ai apprécié les descriptions, le rythme, l’action dans cette nouvelle. C’est plus rapide que les autres, on se pose moins, on va à l’essentiel. On parle mutation, violences… Oh voui digne loup…

Quatrième nouvelle : Catharsis
Hymne au corps, litanie aux mutilations. On est en plein dans le thème mémoires de corps. Que faire quand on veut disparaître ?

Cinquième nouvelle : La mort de Newton
Non pas le Newton auquel vous pensez…
C’est plus horrible et raconté d’une façon assez détachée. J’aime bien surtout la chute que je trouve parfaite. Quand on est détruit, on est prêt à tout… même à franchir les lignes !

Sixième nouvelle : Corpus Dei
Peut-être celle qui est la plus philosophique ? J’ai moins accroché que les autres et même en la relisant, il m’a manqué quelque chose, de la longueur peut-être. La dérision et une certaine critique sont agréables car bien amenées, mais je reste sur ma faim.

Septième nouvelle : Voodoo Child
Aaaaah je l’adoooore ! Elle m’a marquée déjà parce qu’on se fond avec le personnage. C’est la plus triste dans le sens où la perte, les remarques, critiques, humiliations aussi nous bouleversent profondément. C’est très bien décrit, les émotions sont là, on a parfois envie de secouer Antoine de faire taire Elsa… Non la protagoniste n’est pas inerte, n’est pas qu’une poupée vaudou, j’en suis sûre…

Huitième nouvelle : Vivre morte
Après le poème très appréciable, je me suis demandée le pourquoi de cette nouvelle. Certes avec Sergei le sujet est recentré, mais j’ai eu plus de mal. Faut dire je venais de finir Voodoo Child qui est hyper dur psychologiquement parlant ! Allez passons au suivant !

Neuvième nouvelle : Détendez-vous
Avec un titre pareil on est en droit de s’interroger ! Non parce que je suis habituée un peu à l’humour de l’autrice depuis le début du recueil xD ! On y parle sophro, relaxation, détente…et bien sûr mort ! Le thème de ce recueil de nouvelles c’est quand même le rouge sang et cette histoire ne déroge pas à la règle ! Méfiez-vous des séances à 30 euros de l’heure…

Dixième nouvelle : Les maux et la chair
Tout est bien dit dans le titre. Je ne sais pas si on peut parler d’abandon dans le sens corporel du terme ou de prison, j’ai longuement hésité. Entre rêve et réalité, fatigue et excitation, l’anneau qui enfle son sang m’a fait sortir un aïe. Aaaaah j’adore les idées moins les imaginer xD ! J’apprécie qu’on évoque l’air de rien les insomnies. Pour cerner la nouvelle je dirai « maître », je pense que vous allez comprendre.
C’est l’une des plus longues, ça se passe rue Assas et si vous êtes fan’s de bdsm, vous n’aurez aucun mal à apprécier cette nouvelle…

Onzième nouvelle : Le sang, le stupre et la proie
On débute très vite dans le thème « talons aiguilles sur béton sale », cela donne une idée de la nouvelle. Seigei est là de nouveau et en relisant j’ai compris le lien entre cette nouvelle la 8ème. Liane est une personne forte et la chute est délicieuse, dan tous les sens du terme !

Douzième nouvelle : Grossesse
Première nouvelle qui se détache avec l’idée de suivre un journal écrit par la protagoniste. Quand on veut être enceinte, et qu’en même temps une sorte de mort plane au-dessus de vous. « Rachel vous ne pouvez pas être enceinte »… Je ne vais pas vous spoiler, j’en ai déjà trop dit mais encore une fois le thème « mémoires de corps » est parfaitement respecté !

Treizième nouvelle : Hiver
Alice et Anna, inséparables elles étaient. Toutefois on peut lire « Alice 1984-2013 ». Souffrance, amour et encore une fois ce manque, cette frustration. La plume est plus poétique dans cette nouvelle moins horrifique si on peut dire, mais ne pensez pas qu’elle est douce. Ah et j’ai eu faim… !

Quatorzième nouvelle : La preneuse de notes
J’ai été très intriguée au début car je me demandais si elle respectait le thème. Cette nouvelle est construite différemment (encore une fois l’autrice nous montre qu’elle sait sortir aisément de sa zone de confort !). J’aime beaucoup la morale de celle-ci.

Alors ce recueil de nouvelles est un ouvrage qui ne vous laissera pas indifférent. Elles ont chacune une âme, elles s'enchaînent plutôt bien, pas la même longueur et on ressent des émotions très puissantes. Je regrette juste évidemment la longueur, car parfois on a envie de rester plus longtemps avec les persos et non, faut leur dire au revoir, voire adieu. C’est poignant, réaliste, certains diront que c’est violent, horrifique. En effet, mais est-ce vraiment de la fiction ?

Passages préférés ?
Première nouvelle : « Des décharges parcouraient tout son corps : tantôt les jambes, tantôt les hanches puis les poignets, le sexe... Viviane se mordit les lèvres pour ne pas crier. Ils allaient revenir sinon et tout recommencerait ; cette torture devenue banale. Elle devait les convaincre qu'elle allait mieux pour qu'ils la laissent enfin sortir »

Deuxième nouvelle : « Autour de moi des femmes et d'autres enfants, amaigris par la faim et la guerre ; des bébés qui pleurent, refusant le sein de leur mère, cet appendice vide qui point sur les côtes saillantes. Certains d'entre nous commencent à regretter d'être partis »

Troisième nouvelle : « — Reviens, putain !
Le loup s'avance, il a dû distinguer le mouvement inhabituel des panicules, entendre le froissement des épis. Il titube :
— Sonia, reviens, s'il te plaît. Je suis désolé. »

Quatrième nouvelle : « Je veux de la lumière. Je veux de la lumière alors je creuse plus profond. »

Cinquième nouvelle : « Newton est mort. Je l'ai tué. J'en avais assez de son petit visage mignon et de son sourire débile. »

Sixième nouvelle : « Le suicide, j'en rêve mais ils l'ont interdit en mon nom, ces cons. Encore une chose qu'ils m'ont imputée sans raison comme les guerres et la lapidation »

Septième nouvelle : « Mes sanglots se sont taris comme le sang menstruel entre mes cuisses. Mon corps est asséché, sans vie. Il est mort dans cette chambre d'hôpital, il s'est perdu dans ces couloirs blancs, ces odeurs de désinfectant et de putréfaction. »

Huitième nouvelle : « — Un pineau noir, s’il te plaît Sergei, susurra-t-elle d'une voix déjà éraillée par la cigarette.
— Le sang de Sekhmet pour vous, ma déesse, répondit-il.
Elle ne s’offusqua pas du compliment. »

Neuvième nouvelle : « — Faites le vide en vous et laissez une nouvelle énergie vous pénétrer.
De l'énergie, si seulement il en avait encore. Entre les factures à payer, les gosses qui chialent pour un rien et une femme castratrice, il ne parvient plus à se ressourcer »

Dixième nouvelle : « Il s'était sans doute lassé de son manque d'entrain. D'ailleurs, quand il l'avait quittée, il l'avait traitée de « coincée », d' « étoile de mer ». Il avait l'impression de faire l'amour à une morte. Pourtant, elle s'était appliquée pour lui donner du plaisir, ce plaisir qu'elle n'avait jamais ressenti. »

Onzième nouvelle : « La cinquantaine avancée, un début de calvitie et une bedaine outrancière, l'homme ne semble pas en très bonne condition physique. Il devrait rapidement s'épuiser. Tant mieux ! Plus vite ce sera fini, mieux ce sera. Elle préfère les clients qui ne lui donnent pas trop de travail. »

Douzième nouvelle : « Barre bleue au milieu. Négatif encore une fois »

Treizième nouvelle : « Dehors, la pâle lueur de l'aube éclaire le jardin blanc. La première neige de l'année est tombée durant la nuit. J'enfile mes chaussons mauves, ceux que tu m'as offerts à Noël dernier. Je jette un châle sur mes épaules et sors. Sur le pas de la porte, je contemple le spectacle : les arbres comme recouverts de duvet sur lesquels se lève le soleil. J'aimais tant l'hiver avant. »

Quatorzième nouvelle : « Aujourd'hui, elle est encore là. Sa robe crème se fond presque dans le blanc de ma chambre d’hôpital. Deux ans de chimiothérapie durant lesquels elle m'a épié avec assiduité et voilà qu'elle s'avance enfin. […]. Sur la première page, un titre : Vie et mort de Jean-Pierre Baudoin. »

Les + ;
*Belle plume, on est happé du début à la fin !
*Les thèmes, le fil rouge tout le long du recueil.
*Le ton parfois cinglant, horrifique, fantastique, réaliste, rien ne nous est épargné !
*La construction, cette sensation de dépasser les limites à chaque fois.
*La nouvelle Voodoo Child mérite le détour, la première est pas mal aussi, mais Voodoo Child reste ma favorite !

Les - ;
*Comme tout recueil, c’est court ! Certaines nouvelles je les aurais bien appréciées plus longues encore !

En résumé, ayez vos tripes bien accrochées car le voyage débute fort et vous collera au fond du siège… à moins que ce soit un autre fluide un peu plus rouge !

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Léonox - Artikel Unbekant - COLLECTIF ZLL - LITTERATEURS DES OMBRES - 23 DÉCEMBRE 2019

Johanna Almos est une jeune autrice découverte par Nicholas Bréard, l’infatigable homme-orchestre à la tête de la maison d’édition associative Otherlands. Or si le collectif Otherlands revendique le fameux acronyme « SFFF », il arrive que certaines de ses publications échappent à cette classification. Comme ce recueil de textes brefs, étrange objet douloureux oscillant entre « Cris et chuchotements ». En effet, si Johanna Almos emprunte parfois la voie d’un Fantastique allusif, elle n’hésite pas à bifurquer en cas de force majeure vers des territoires où règnent sans partage l’horreur frontale et le réalisme cru. Or chez elle, la force est souvent majeure. Et ce n’est certainement pas moi qui vais m’en plaindre.

 

Mémoires de corps est donc un recueil de quatorze nouvelles liées par un thème commun. Un thème à la fois intime et universel, présenté comme une offrande par un titre qui annonce clairement la couleur. Cette couleur, c’est celle des blessures jamais guéries, celle des cicatrices mal refermées, celle de la chair à vif, celle du sang qui coule. Cette couleur, c’est le rouge.

 

Et elle s’affiche d’emblée, avec un premier texte aussi éprouvant que pertinent. Car dans Maison Villebasse, il est question d’internement, et de ce qu’il reste du corps dès lors qu’on l’a contraint. Sur le bateau aborde pour sa part un sujet tristement d’actualité : celui des migrants. Un récit à la fois dur et plein de sensibilité, qui colle au plus près de ces destins brisés avant d’avoir atteint les rivages tant espérés. Lycanthropie est, comme son titre l’indique, une variation sur le thème de la mutation, mais aussi – et surtout – un biais pour dénoncer des violences bien humaines… Avec Catharsis, Johanna Almos creuse ensuite le sillon des blessures intimes, et c’est vraiment le cas de l’écrire. Elle enfonce d’ailleurs le clou avec La mort de Newton, un jeu de massacre impitoyable qui trouve sa « justification » dans une chute glaçante. Corpus Dei, une nouvelle très courte, fait dans ce contexte presque figure de respiration, même si elle ne s’avère guère plus optimiste. Mais ce n’est rien par rapport à Voodoo child, terrible texte sur la perte – sans doute un des plus douloureux de ce recueil.

 

Le récit suivant, Vivre morte, forme avec Le sang, le stupre et la proie un diptyque sensuel et cruel, dont il serait indélicat de dévoiler le thème. Disons juste qu’il y est question d’initiation et d’héritage. Quant à Détendez-vous, on pourrait presque prendre le titre au pied de la lettre… mais avec Johanna Almos, « l’humour est la politesse du désespoir. » Reste que cette touche sarcastique permet une respiration bienvenue avant l’éprouvant Les maux et la chair, autre point culminant du livre. Une nouvelle qui plonge dans l’enfer du sadomasochisme, pour restituer la violence quasi surnaturelle de certaines emprises – et de certains abandons. Grossesse n’est d’ailleurs pas moins frappant. Ce journal d’une obsession mortifère, ancrée au plus profond de la chair, suscite tour à tour malaise et empathie, ce qui n’est pas loin d’un tour de force. Aucun doute, l’autrice a les mots pour dire le manque et l’oubli impossible, ce qu’elle prouve encore avec Hiver, ode poignante à la différence. Enfin le recueil se conclut par La preneuse de notes, une nouvelle Fantastique douce-amère qui permet un épilogue apaisé… quoique fatal.

 

Alors, « âmes sensibles s’abstenir » de lire Mémoires de corps ? Deux fois non. Car la violence dont fait preuve Johanna Almos n’exclut pas la sensibilité. Au contraire, puisque chez elle l’un ne va pas sans l’autre. En effet, si son écriture est la plupart du temps sèche et directe, elle sait s’adapter à son sujet. De toute façon, il serait trop facile de jeter la pierre à l’autrice. Car si elle est bel et bien responsable de ses écrits, les coupables sont ailleurs. Et ces coupables, elle les nomme. Elle crie leurs noms. Au fond, ce n’est donc pas Johanna qui est violente, mais les thèmes qu’elle a choisi de traiter. Ces thèmes dont elle s’empare plutôt que de les laisser s’emparer d’elle. Certes, le traitement proposé par Mémoires de corps est un traitement de choc. Mais un choc salutaire.

 

Des encres sur le papier

D'entrée, Johanna Almos nous met dans l'ambiance avec une nouvelle effrayante, un huis-clos où le peu de paroles présentes ne sont pas rassurantes. Ainsi s'ouvre ce recueil de nouvelles, mélange de fantastique, d'horreur et de drame. Parfois très glauque, il est déroutant de voir, pour certaines nouvelles, jusqu'où certaines personnes sont prêtes à aller, tant elles sont mal dans leur peau. Parmi ces quatorze nouvelles, seule "Lycanthropie" n'a pas réussi à me transporter.  Pour approfondir plus en détail, voici en quelques mots, mon avis sur quelques nouvelles.   "Sur le bateau" est une nouvelle très dure et triste, d'autant plus qu'elle est contée par un enfant de douze ans. (A ce propos, j'ai trouvé que le vocabulaire n'était pas toujours approprié, certains mots étant trop "complexes" pour un enfant de cet âge). "La mort de Newton" est à la fois touchant et terrible, si bien que l'on prend en pitié le personnage principal de cette nouvelle. "Corpus Dei" est très originale dans sa narration et émet une vérité que l'on ne peut nier. "Hiver" est une très jolie nouvelle, les âmes les plus sensibles versant sûrement quelques larmes. Pour ce qui est de "Catharsis", "Détendez-vous" et toutes les autres dont je n'ai pas parlé, elles ébranlent le lecteur par leur dureté, leur côté glauque et dramatique. En bref, "Mémoires de corps" est un très bon recueil de nouvelles, mais à ne pas mettre entre toutes les mains !  

 

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Diabolo - 9 décembre 2017

C'est l'autodérision de cette auteure qui m'a poussé à ouvrir un jour la porte de sa prose. Dans un salon, elle avait écrit sur un panonceau un truc du style : "déprime assurée, à offrir à votre pire ennemi. Xanax non fourni".
Je fais partie des gens qui pensent que l'autodérision est toujours bonne conseillère, et ce n'est pas encore cette fois-ci que je changerai d'avis.
Ce recueil est un grand recueil, où le fil rouge – le corps donc, et il est bien souvent rouge, c'est ainsi – est toujours présent et comme inexorable, mais sans jamais faire redondance.
On aime ce "fantastique léger", par petites touches de gouache, qui interfèrent avec la réalité sans la métamorphoser plus que cela.
On aime ces personnages récurrents que l'on n'a pas reconnus tout de suite, qui sont réintroduits avec adresse et à-propos, quelques nouvelles plus loin, et que l'on est content de retrouver, comme des vieux amis à qui on a envie de demander : "et toi vieille branche, qu'est-ce que t'es devenu depuis la dernière fois ? Aah oui... quand même !"
On aime ce côté "écorché vif", ce côté "écrit avec les tripes"... C'est plus que jamais le moment de le dire ! On s'y reconnaît, on se voit dedans.
Un recueil avec beaucoup de points forts, et bien peu de points faibles, c'est assez rare pour le signaler.
Le sujet est là, toujours, bien visible ou sous-jacent, ce corps dans lequel on est né, ce corps qui grandit, ce corps qui se forme, ce corps qui triomphe, ce corps qui jouit, ce corps qui souffre, hélas, et qui un jour, nous abandonne.
Ce n'est pas un recueil toujours gai, certes, mais il n'est pas non plus dénué d'humour, et je ne suis pas sûr qu'il faille prendre celui de l'auteure au pied de la lettre, et le déconseiller aux neurasthéniques. Ce qu'elle a sans doute voulu dire par là, c'est que ce n'est pas un recueil qui a pour seul but de divertir ; le lecteur de consommation courante sera indubitablement déçu, car ici on lui demande de réfléchir. Mais excusez-moi, putain qu'est-ce que c'est bon !
On referme ce livre avec une seule envie : profiter de ce corps, tant qu'il nous tient.
Merci, Johanna Almos.

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Françoise Grenier Droesch - 16 aout 2016

Je découvre cette auteure qui m'a fait angoisser avec ses personnages englués dans des situations innommables. Au cours de ces 14 textes, on parcourt une sorte de dictionnaire des souffrances du corps intimement lié à l'âme et à une histoire tragique.

Maison Villebasse​ rend compte des tourments d'une jeune fille internée. Pourtant, elle ne paraît pas folle, juste sujette à d'atroces douleurs qui à son époque n'étaient pas répertoriées par les médecins. Donc, si l'on ne peut la soigner elle doit être enfermée avec les déments et subir les terribles traitements ​infligés à ces vrais malades... Médicaments inadaptés, lobotomie, chocs électriques puis bains glacés proches de la noyade. Le catalogue des tortures subies par Viviane s'avère complet ! La fin n'est pas rose non plus mais j'ai aimé avoir été bousculée de la sorte.

Sur le bateau ​nous rappelle que des gens sont prêts à tout pour fuir leur pays en guerre. Le sujet des migrants vu par un jeune garçon devient si réel, palpable qu'il donne la nausée. Pas d'échappatoire possible lorsque l'on dérive loin des côtes, que l'on est si jeune et que tous ces morts dansent autour des vivants.

Lycanthropie​ : l'histoire d'un couple qui vit à l'écart des autres. Cette fois, la femme fuit face à son homme déchaîné et cherche de l'aide. Est-ce de la violence conjugale ordinaire ?

Le propos abordé sous l'angle des transformations impromptues s'éclaire soudain et retient toute notre attention. Magistral !

Catharsis ​: quand vouloir se libérer de soi-même est pris au pied de la lettre. Glaçant et morbide.

La mort de Newton : pour moi l'histoire la plus terrifiante car les pires actes viennent d'un enfant qui pense être dans son bon droit. Bien sûr l'origine des vengeances justifie les horreurs préméditées par ce petit garçon délaissé et sali par des adultes. Suivre les étapes en étant dans sa tête donne tout de suite une ambiance plus crue. J'ai beaucoup aimé ce ton et ce qui se passe ^^

Corpus Dei : Pauvre Dieu qui ne décolère pas à cause de nous autres, les hommes inconscients et stupides aux inventions dangereuses. Un petit texte qui détend.

​Voodoo Child : Quelque chose s'est cassé dans ce couple depuis l'opération mais Antoine ne s'offusque pas du comportement suicidaire de celle qu'il appelle sa poupée vaudou. Un amour contrarié par la vie merdique qui te tombe dessus sans crier gare ! Pour l'instant tout va à peu près bien. Une tranche de vie bien décrite, qui touche l'âme.

Vivre morte : Une rencontre puis une confrontation qui ne sera pas si innocente que ça. À ce jeu du chat et de la souris, il y aura de la casse...

Détendez-vous ​: idée assez casse gueule mais très bien amenée. Sur un ton ironique. Si les cours de yoga vous énervent, vous pouvez tester les pensées négatives ^^

Les maux et la chair ​: Les cauchemars s'invitent d'une manière un peu trop réelle pour Aurore qui n'ose plus dormir de peur de rencontrer le personnage sadique qui la hante. Mais de force puis de gré, elle se laissera dominer et changera de caractère, devenant elle-même. La douleur révélant son moi profond. Question de point de vue.

Le sang, le stupre et la proie ​: La prostituée cache bien son jeu. Histoire où les rôles s'inversent et j'aime bien.

Grossesse ​: Le désir d'enfant chez Rachel qui tient son journal scrupuleusement. C'est cela qui la tient vivante mais le sort s'acharne sur elle et l'exclut de ce bonheur simple que n'importe quelle femme peut éprouver. Pas elle ! Triste, désespérant mais très bien écrit car on suit cette future maman en y croyant nous aussi... Johanna Almos, tu m'as bien eue !

Hiver ​: Le souvenir douloureux d'une personne chère, Alice, se ramène à la mémoire de la narratrice. Le ton très en demi teinte tranche avec d'autres textes mais provoque une douce mélancolie surtout avec l'apparition, la femme blanche. Cet amour mal vu par le voisinage car il réunit deux femmes apparaît pourtant si profond.

​La preneuse de note ​: dernier texte qui clôt le recueil est très mystérieux. Cette femme qui apparaît aux moments critiques au cours de la vie du narrateur, prenant des notes et disparaissant vite interroge. Il n'y a pas vraiment de grosses surprises à la fin de la lecture, seulement une parabole sur le temps qui passe.

En conclusion, je recommande grandement ce livre de nouvelles toutes marquantes. Johanna Amos a fourni un vrai travail en profondeur qui exhume les plaies cachées de chacun. Nécessaire.

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Unity - 30 mai 2016

Je connaissais Johanna Almos à travers des publications en anthologie que j'avais déjà beaucoup aimées. Une écriture limpide et viscérale. Un recueil qui se lit en une fois, avec plaisir, pour une auteur que l'on aimerait découvrir sur d'autres projets !

 

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Le décapsuleur - 9 mai 2016

 Mémoires de corps est un recueil de 14 nouvelles, publié aux éditions Otherlands. Si vous êtes familiers de ce blog, ce nom vous est familier. Plus qu’une maison d’édition indépendante, les Otherlands sont avant tout une communauté, qui regroupe de nombreux écrivains fantastique/horreur/SF désireux de partager leurs écrits et leur passion pour la littérature. Les profils de ses membres sont donc assez disparates (on y trouve notamment un cuistot, un infirmier, un comte, un profond, une chaudasse et bien d’autres…). En ce qui concerne Johanna Almos, elle partage son temps entre l’écriture et la librairie Plume & image (à tonnerre), qu’elle a reprise il y a quelques mois avec son conjoint Rémi Colliot. Johanna est donc une collègue d’écriture, une amoureuse des livres, et une amie ; vous pouvez penser que cette chronique ne sera pas objective. Vous avez raison : elle ne l’est pas.

Mais il est une réalité que je n’ai pas besoin d’embellir : Johanna Almos écrit bien. Très bien. Elle l’a prouvé notamment en publiant dans l’anthologie annuelle Ténèbres dirigée par Benoît Domis, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Le fantastique, dans Mémoires de corps, est en retrait, subtil, affleurant par touches sombres, sur une toile bien plus grande et ambitieuse qu’un simple exercice de style. Chaque texte du recueil raconte d’abord une histoire de destins brisés, des femmes le plus souvent, blessées, à vif, qui ont souffert ou souffrent dans leur âme et leur chair. L’esprit et la matière sont indissociables, et au fil des nouvelles se dessine la carte de territoires ravagés par les guerres : les êtres fragiles, humains, qui deviennent inhumains d’avoir trop mal. Johanna Almos ne cherche pas le frisson à peu de frais, le divertissement horrifique de série B, mais à instaurer une ambiance, un climat, forcément sombres et inquiétants, qui font dériver le lecteur vers les rivages d’une angoisse complexe, insidieuse, poisseuse. L’influence de Mélanie Fazi est palpable (la dernière nouvelle, La preneuse de notes, en est la parfaite illustration). L’écriture est au diapason de cette ambition : on sent affleurer sous la surface des mots une recherche stylistique, un engagement total.

Retour en détail sur chaque texte.

Maison villebasse : Une plongée sans concessions dans les méandres d’un asile de femmes, au début du 20ème siècle. L’occasion salutaire de rappeler que trop souvent, ceux qui sont atteints d’une maladie chronique, qui souffrent, sont rejetés par la société du fait de leur douleur mais aussi de l’incompréhension des autres. Le malade, le souffrant, est celui qu’on ne veut pas voir. Et peu importe ce qui se passe derrière les murs des institutions. Un texte qui frappe d’emblée, comme un coup de poing à l’estomac.

Une fois abandonné ici, on vous oubliait. Dissimulé aux yeux du monde tel un honteux secret.

Sur le bateau : Plus que jamais d’actualité, le drame quotidien des migrants fuyant guerre, dictatures et misère, est le cœur de cette nouvelle déchirante. Jamais politique, ce récit s’intéresse à l’état d’esprit du protagoniste principal, un enfant.

Le jour est mort, seule demeure la nuit et la nuit c’est cette cale abîmée par les eaux. La houle fait danser le navire comme une coquille de noix. Les zombies hurlent, ils disent que le bateau va sombrer. Je ne les crois pas.

Lycanthropie : dans ce texte court, le mythe du loup-garou est utilisé pour traiter le thème des femmes battues. L’acuité sociale de Johann Almos est superbement mise en écrit, loin de tout manichéisme. La volonté de parler des êtres et de leurs failles, sans jugement péremptoire, est d’ailleurs une constante de ce recueil.

Il lui décoche un coup de pied rageur. Le membre heurte ses côtes trop maigres. Après lui avoir asséné une dernière gifle, l’animal se détourne du corps meurtri.

Catharsis : Un texte magistral, âpre, viscéral, qui se lit en apnée. Il dévoile une vision de l’enfer, l’autodestruction, ce royaume que nous portons tous en nous-mêmes.

L’enveloppe prive l’esprit de sa substance, elle retient les faux semblants. La chair pue le mensonge et la souffrance. Je veux disparaître, je veux vivre.

La mort de Newton : La mort du doudou Newton est l’allégorie de la mort de l’enfance, ravagée par les adultes, leurs perversions et leur aveuglement. La première personne du singulier sert à merveille cette nouvelle qui demandera un peu de temps pour s’en remettre.

Mais voilà, Newton avait mal fait son travail et il fallait qu’il paie. C’est comme ça la vie, on récolte ce qu’on a semé, c’est ce que maman dit tout le temps.

Corpus Dei : L’écrivain est une sorte de Dieu ; un créateur qui offre vie et mort avec le même détachement. Ici, l’auteur décide de se mettre à la place de Dieu, l’unique, et imagine ce qu’il ressent alors que tant de fanatiques s’expriment en son nom. Un texte décalé et blasphématoire très sympathique.

Nietzsche a dit que j’étais mort ; si seulement c’était vrai. Le suicide, j’en rêve mais ils l’ont interdit en mon nom, ces cons.

Voodoo child : Le deuil, ou ce que les épreuves nous enseignent sur nous-mêmes ; en quoi elles modifient notre rapport aux autres, et la vision qu’ils ont de nous.

Je ne suis rien. je ne suis plus que ce trou dans mes chairs, je deviens ce vide. Si seulement il pouvait m’aspirer jusqu’à ce que je disparaisse.

Vivre morte : L’auteur utilise ici la figure du vampire pour parler de viol. Âmes sensibles s’abstenir. Le fantastique dissipe en partie l’horreur d’une scène finale écrite avec un tel brio qu’elle en devient douloureuse.

Très jeune, la vie lui avait appris qu’on ne pouvait pas croire n’importe qui. Pourtant, elle n’avait qu’un désir : trouver quelqu’un qui l’aime enfin ; quelqu’un sur qui elle pourrait compter.

Détendez-vous : Une nouvelle plus légère, une des rares dans laquelle le protagoniste principal est de sexe masculin. Vous ne verrez plus vos séances de sophrologie de la même manière…

La sophrologie, ce n’est peut-être pas pour lui, finalement. S’il ne ressent aucune amélioration après cette séance, il arrêtera.

Les maux et la chair : Aurore est une femme solitaire et carriériste, qui a tout sacrifié à son travail. Jusqu’à ce que des visions oniriques l’emportent dans une relation SM, qui laisse ses traces bien après qu’elle se soit réveillée.

Dix heures du matin, le lendemain ou le surlendemain, elle ne sait plus. La peau cuisante, elle porte encore les stigmates du rêve. Ses bras, hanches, jambes et pieds transparaissent à peine sous l’encre bleutée. Des calligraphies inconnues forment une incantation sur sa peau. A la surface, perlent des gouttes rubis.

Le sang, le stupre et la proie : Ce texte est la suite de Vivre morte. On prend un plaisir malsain à découvrir ce qui est advenu de Liane, et de sa vie d’être surnaturel. Moderne et surprenant, ce conte vampirique en deux parties ne peut laisser indifférent.

La rue est une prison, elle le sait. Une geôle qui abaisse et qui dégrade, une drogue dont on ne peut se passer. Le bitume est un mouroir. Le corps : des oripeaux affamés. Voilà des années qu’elle est prisonnière des boulevards ; talons aiguilles sur béton sale.

Grossesse : Cette nouvelle a été publié auparavant dans l’anthologie Ténèbres. Sous forme de journal intime, on y découvre l’histoire de Rachel, une jeune femme enceinte. L’horreur et la mélancolie se disputent. Il flotte comme des airs de Rosemary’s baby…

Je l’ai embrassé et nous sommes allés nous coucher. Il m’a serrée dans ses bras toute la nuit en sanglotant. Ça m’a fait peur. Est-ce parce que nous nous sommes un peu disputés ou simplement que sa future paternité l’angoisse ? Je ne sais pas.

Hiver : Ici, le surnaturel est poétique, s’immisce dans le texte avec douceur. Une nostalgie profonde suinte des lignes et nous entraîne aux côtés d’Alice et Anna, vers l’hiver de l’existence…

Maintenant que nous étions peau contre peau, je comprenais t’avoir désirée dès le premier jour et je trouvais ça beau. Je n’éprouvai aucune honte tant il me semblait naturel de t’aimer. Pas un instant je ne songeai au regard des autres ni à leur haine. Ce fut toi qui m’appris qu’il fallait se méfier, que les gens n’étaient pas si ouverts d’esprit que je ne le pensais. Toi qui étudiais les poèmes de Sapho ou de Verlaine, tu ne partageais pas leur liberté.

La preneuse de notes : Le texte qui clôture ce recueil est une merveille. Subtil et lumineux, il procède d’une mise en abyme qui enthousiasmera les écrivains. On sent poindre un soulagement exquis, un sentiment de plénitude, peut-être même de sublimation.

Il en va des personnes comme des légendes : certaines semblent avoir toujours existé.

 

En conclusion :

L’exigence de Johanna Almos est à la hauteur des attentes suscitées par le sujet de son recueil. Le corps et ses blessures, la souffrance physique, ne lui sont que trop bien connus. Mémoires de corps, magnifié par la couverture d’Estelle Leduc, est une catharsis en quatorze points, une symphonie du malheur, une mélodie cruelle, sombre et magnifique, qui vous emmènera loin. Johanna Almos ne triche pas. Elle ne ment pas. Ses récit sont porteurs d’une franchise à la fois troublante et pathétique, qui ne pourront que vous bouleverser, et qui s’achèvent sur un final sublime. Comme si, au bout du compte, la souffrance aussi pouvait prendre fin, et le corps garder la mémoire des instants heureux, des instants de vie.

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